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Borges & Borges Illimited

Extrait du "Zoo"

Le Zoo (que d’autres appellent Réserve ou ménagerie) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de cages rectangulaires comportant sur leur pourtour de vastes fosses bordées de grilles très hautes. De chaque côté de ces cages on aperçoit interminablement les autres cages, toutes peuplées d’animaux d’espèces inférieures et supérieures. La distribution des animaux y est invariable. Vingt singes, oiseaux dépareillés ou zébus d’Asie septentrionale couvrent tous les murs, à raison de cinq par côté; leur hauteur qui s’apparente à celle de leurs cages ne dépasse guère la taille d’une girafe ou d’une puce normalement constituées. Chacune de ces cages débouche sur un couloir étroit, lequel débouche à son tour sur une autre cage, identique à la première et à toutes. A droite et à gauche de chaque cage se trouvent deux réduits minuscules. L’un permet à l’ange gardien de chaque animal de dormir debout; l’autre sert à satisfaire les besoins fécaux. A proximité passe un escargot à la coquille en colimaçon, qui s’abîme et s’élève à perte de vue. Au fond de chaque cage se trouve une glace, qui redouble fidèlement le visage et l’apparence des visiteurs du Zoo. Ceux-ci en conclurent que le Zoo n’est pas infini. S’il l’était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire, qui vise à inclure et enfermer les humains eux-mêmes dans l’étroitesse des cages. Je préfère, pour ma part, rêver que ces surfaces polies sont là pour figurer l’infini animal et pour le promettre... Des sortes de globes sphériques appelés lampes assurent l’éclairage. Au nombre de deux par cage, ces globes émettent une lumière éternellement insuffisante. C’est ainsi qu’on peut voir les animaux dériver chaque soir dans une bienheureuse
inconscience et somnolente obscurité.

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